Dans les circulaires ministérielles, on parle désormais d’assistant d’éducation.
Dans la cour de récréation, la salle de permanence, quand les professeurs ne sont pas là, les surveillants sont les yeux, les oreilles, le corps et la voix du respect, de la justice et de la tempérance. Ils sont les bienveillants gardiens du collège. L’Éducation nationale leur confie une mission d’encadrement et de surveillance.
Le surveillant est souvent jeune et pratique son métier en menant en parallèle des études supérieures. Si le surveillant est un homme, il risque de se voir attribuer par les enfants qu’il encadre les vertus chimériques d’un grand frère. S’il est une femme, ce sera plus simplement la surveillante.
Si les élèves connaissent leurs professeurs par leur nom de famille, ils appelleront le surveillant par son prénom. Ils rechercheront son amitié ou le déclareront, mais pas trop fort, leur ennemi. Généralement, son regard et ses oreilles seront perçus comme des empêcheurs de tourner en rond.
Le surveillant arpente l’espace des pieds et du regard ; où il passe, la loi de la jungle cède sa place à la loi de la civilisation et de la bonne entente. D’un regard, il interrompt les cruautés et les violences de la cour de récréation. L’un retient son poing qui allait s’écraser sur le visage fragile d’un camarade, l’autre relâche sa prise de judo sur un petit sixième, une autre encore cesse de pincer les garçons…
Mais dans cette mer infestée de requins qu’est la cour de récréation, des drames surviennent, qui révèlent toute la force d’âme des surveillants. Voici une anecdote que nous recopions presque mot pour mot de Jules Lecomte, un journaliste de L’Éducation française illustrée :
(*Ce qui suit est en réalité un plagiat de l’article Matelot du Dictionnaire pittoresque de Marine ; nous avons remplacé Matelot par Surveillant et requin par racaille, en procédant aux retouches nécessaires ; que le lecteur indulgent veuille bien nous passer cette blague qui ne manque pas, à notre sens, de sel.)
La sonnerie venait de retentir dans le grand collège de ***. A peine les élèves étaient-ils sortis pour se délasser, par la course et les plaisirs de la conversation libre, qu’on vit se former un attroupement : une racaille allait frapper un élève. Un surveillant qui n’avait pas mesuré le danger tenta d’intervenir mais il se fit éventrer d’un coup de mâchoire porté par la racaille. Les élèves le portèrent sous le préau où se tenait un autre surveillant. Là, le blessé expira en quelques minutes.
Pendant l’agonie du malheureux, le jeune surveillant, son ami d'enfance et de quartier, s'approcha du moribond, et, donnant cours à sa douleur, promit aux surveillants assemblés d'en tirer vengeance, « ll était né dans la même ville que moi, disait-il, sa mère m'aimait comme son fils, nous ne devions pas nous quitter ainsi ! Je vais te venger, mon pauvre frère, ou bien je mourrai comme toi ! »
En achevant ces paroles, il court précipitamment à la cantine, d'où il revient bientôt nu jusqu’à la taille et le bras armé d'un redoutable couteau ; à peine a-t-on pu juger de son dessein, qu'il a franchi le préau, et qu'il tombe à la mer.
Ce fut un bien palpitant spectacle pour les surveillants, croyez-le, que de contempler, agités par tant de craintes et d'espérances, cet affreux duel qui allait s'accomplir sur le pavé encore rougi du sang d'un de leurs camarades ! Les élèves rassemblés concentrèrent toute leur vie dans le regard... Leur courageux surveillant et l'énorme racaille sont en présence.
Affamé et excité peut-être par son premier succès, le monstre s'avance, en battant l'air de ses bras, vers la nouvelle victime qu'il vient d'apercevoir, mais l’assistant d’éducation a déjà tout son sang-froid, il se tient dans une position avantageuse à toute agression, et son bras, armé du couteau qu’on voit briller dans le soleil, se tient en arrêt et dirigé vers la racaille. L'homme est immobile, mais le monstre s'approche, s'approche toujours. Grandis tous deux par l'optique causée par les vagues de chaleur montant du bitume, cette affreuse lutte qui se prépare entre les deux adversaires a quelque chose de surnaturel et de formidable qui jette dans l'âme une émotion pleine de terreur...
La racaille a ouvert la gueule, mais le surveillant a plongé à terre pour éviter l’insulte. Les mouvements de la racaille ne sont pas agiles comme ceux de la plupart des enfants, il se remue avec lenteur, et la conformation singulière de son corps ainsi que le visionnage de nombreux films de kung fu le contraint à se retourner presque de dos pour que son pied, placé à quelque distance de sa tête, puisse atteindre la proie sur laquelle il se dirige.
Cette particularité, connue du courageux auxiliaire de vie scolaire, était l'objet de son attente, et il y comptait pour le succès de son hasardeux projet.
En effet, près de l'atteindre, le monstre avait tenté un coup de pied retourné, le surveillant l'avait évité en plongeant lestement, et plusieurs tentatives du monstre, de plus en plus animé, avaient eu un résultat semblable, grâce à la souplesse et au sang-froid du jeune surveillant.
Enfin, profitant d'un instant où son adversaire se retournait plus lentement que de coutume, l'intrépide surveillant lui plongea violemment son large couteau dans les reins. Des flots de sang teignirent la cour, et des battements de bras, en agitant l’espace, redoublèrent l'anxiété de l'équipe de vie scolaire, qui avait peu à peu cessé de pouvoir juger de l'issue de cette lutte affreuse, à mesure que dans leur joute les deux adversaires s'étaient éloignés du préau. On voyait du sang ; à qui était-il ? à leur camarade ou au monstre ? Le duel opiniâtre dont témoignait l'agitation à quelque distance aurait-il un dénouement heureux ou déplorable... L'anxiété était à son comble, quand enfin, revenant vers le préau, l'héroïque assistant d’éducation parut en trouant l'espace avec sa tête ensanglantée. Mais peu à peu le vent, en frappant l’homme, lava son front du sang de son formidable adversaire, et mille acclamations accueillirent le vainqueur de la racaille, dont la carcasse expirante battait encore au loin la surface rougie du terrain de basket par ses dernières convulsions.
Le courageux assistant d’éducation pleura longtemps son ami qui laissait une femme et deux enfants. Il se dévoua à cette famille abandonnée. Il épousa la femme de son ancien camarade, qui n’était ni jeune ni jolie, et il adopta ses deux enfants. Une fraîche jeune fille à laquelle il avait promis sa main, ne put trouver grâce vis-à-vis de l’inébranlable résolution du surveillant.
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© Louis Butin & cercle DPMC