Escalier

 

Lorsque la nuit d’hiver oppose sa noirceur à la clarté phosphorescente des sacs des collégiens sous les courtes loupiotes des lampadaires de la cour, le professeur ne déroge pas au rituel, il se dit qu’en septembre le soleil était là dès le matin, qu’il faut passer l’hiver, les averses froides et les bourrasques, et que, pour rien au monde, il ne changerait ses habitudes : aller chercher ses élèves, c’est être le Christ trouvant des fidèles. De fait, de son pas traînant, assommé par la correction tardive des copies, il entre dans la cour, cherche de son œil las le repère octroyé à sa classe sur le macadam fourbu, et hèle ses élèves mangés par l’obscurité.
Il est huit heures, les élèves se mettent en rang, franchissent les portes, gagnent les couloirs, laissent passer leurs camarades, s’arrêtent au pied des escaliers, les franchissent de leurs mollets robustes, passent la porte de leur classe, s’asseyent, se taisent, et c’est l’appel, et c’est le cours de Mathématiques, et c’est la journée qui commence.

Ah ! Eternel recommencement … Foutaise, oui ! Image d’Epinal ! Faire monter les élèves en classe, c’est autre chose que ces fariboles ! C’est herculéen, que dis-je, c’est odysséen ! On ne sait jamais si l’on rejoindra sain et sauf la bonne Ithaque de nos salles de classe !
Qu’on nous comprenne bien, l’escalier est une épreuve, un test-match pour reprendre les termes rugbystiques adéquates, un France – Nouvelle Zélande dans lequel le professeur serait un pilier freluquet, boiteux, atteint de nanisme, et proie préférée des plaqueurs blacks
Car l’escalier ne présente étonnamment aucune qualité ascensionnelle : plus les élèves montent d’étages, plus ils descendent dans le puits de la bêtise et de l’incorrection ! Une classe ayant rendez-vous avec son destin au cinquième étage du collège, ce n’est pas une ascension, c’est une excavation !
L’escalier, c’est la dégradation, la vilenie, la débauche !
Et le professeur dans tout ce merdier ? Un berger gueulard tâchant de mener à bonne bergerie ses bêtes prises de grippe aviaire ! Bref, on en revient finalement à la métaphore originelle de cette définition : le professeur souffre pour le salut de ses ouailles sur le chemin du diable !
Ainsi, les élèves s’interpellent et braillent en de longs bêlements ; ils montent et descendent les marches comme les brebis s’agitent et cavalent sous les assauts de la foudre ; ils se font des crocs-en-jambe comme leurs homologues ovins se bousculent dans les camions vers l’abattoir ; ils se séduisent et se mettent des mains au cul comme les moutons s’embrassent la croupe en périodes copulatives. L’escalier, c’est aussi le temps où la sueur chaude des élèves, conséquente de leurs courses folles et de leurs pratiques séductrices, se plaît à couler de leurs aisselles ; elle séchera au courant d’air des salles de classe – les voilà puant comme des agnelles en chaleur ! Ah ! il ne manquerait plus qu’ils aient de la laine sur le dos !
Et dire que le professeur est apte à réaliser cette besogne quatre fois par jour ! Un saint homme, vous dis-je…

 

plume forum

 

© Louis Butin & cercle DPMC